Le 20 novembre dernier, alors que le monde du football se préparait à quelques heures du match d’ouverture de la Coupe du Monde 2022 au Qatar, Fausse Touche s’est rendue à San Sebastian de Los Reyes, dans la banlieue de Madrid. A l’occasion de la 12e journée de 3e division espagnole entre les locaux de l’UD Sanse et le CD Badajoz, nous avons rencontré Théo Chendri, ancien international français chez les jeunes et passé par la Masia. Le milieu de 25 ans nous parle de sa carrière sans filtre, une leçon de vie pour tous les amateurs de ce sport.

Le temps d’un mois, comme tous les quatre ans avant que l’absurdité de cette Coupe du Monde au Qatar ne vienne décaler la tradition de six mois, le monde du football s’arrête et les stars se rassemblent pour se dévouer à leur pays. Seulement, lorsqu’une Coupe du Monde se déroule en hiver, les championnats non concernés ne peuvent se permettre de s’arrêter.

C’est notamment le cas de la Segunda RFEF, troisième division espagnole, comptant notamment des clubs réputés comme le Deportivo La Corogne, Cordoba CF ou encore la réserve du Real Madrid, la Castilla. A cette occasion, Fausse Touche a profité du déplacement du CD Badajoz dans la banlieue de Madrid pour rencontrer Théo Chendri. A l’heure d’une Coupe du Monde des plus critiquables, nous sommes revenus à la source, au vrai football. Celui qui se vit pour la passion du sport, et non par la soif d’argent et de reconnaissance.

La découverte de la Masia avant une suspension par la FIFA

Né à Toulouse en mai 1997, Théo Chendri a baigné dans le football dès le plus jeune âge, rejoignant la Masia, centre de formation du FC Barcelone, à seulement 15 ans. Un rêve pour tout footballeur. Ce rêve va toutefois rapidement prendre une surprenante tournure. Quelques mois après son arrivée, la FIFA envoie une note au club catalan dans laquelle elle interdit l’alignement de l’attaquant coréen Lee Seung Woo pour avoir enfreint le règlement sur le statut et le transfert de joueurs mineurs.

La FIFA se rend rapidement compte que l’arrivée de Lee Seung Woo n’est pas un cas isolé. Ainsi, pas moins de huit autres joueurs se voient suspendus par la FIFA : Paik Seung-Ho, Jang Gyeolhee, Patrice Sousia, Bobby Adekanye, Ben Lederman, Takefusa Kubo, Kais Ruiz Atil et… Théo Chendri.

Si certains joueurs, à l’image de Takefusa Kubo, décident de rentrer dans leur pays afin de poursuivre leur développement, Théo Chendri décide de prendre son mal en patience. Le jeune français tout juste âgé de 15 ans décide d’attendre ses 16 ans, âge auquel il peut jouer, étant européen.

« C’était un problème qui me dépassait. Tu ne comprends pas ce qu’il se passe. A cette époque, quand le Barça me fait venir, le problème n’est pas spécialement évoqué. Finalement, je suis resté environ un an sans jouer. Ça fait bizarre car tu t’entraines tous les jours, et le weekend tu vois tes potes jouer pendant que toi tu restes en tribune. A 15 ans c’est compliqué, mais ça m’a construit. Tu vois le football différemment. Ça a été une petite phase d’apprentissage. »

La Masia : un monde à part et des débuts prometteurs

Après la levée de sa suspension par la FIFA lors de ses 16 ans, Théo Chendri peut enfin s’exprimer et prouver sa valeur sur le terrain. Le jeune milieu de terrain fait notamment ses preuves dans les différentes catégories jeunes du FC Barcelone, jusqu’à faire ses débuts avec le FC Barcelone B en décembre 2015 contre le CD Eldense.

Lors de cette saison, Théo Chendri dispute notamment l’UEFA Youth League, où il s’impose comme l’un des hommes forts des Blaugrana, inscrivant deux buts et délivrant quatre passes décisives en huit rencontres. Ses sélections en Youth League lui permettent notamment de se rapprocher de certains joueurs de l’équipe première, à l’image de Dani Alves. Les deux joueurs étant alors dans la même agence d’agents de joueurs, il se remémore d’une anecdote lors d’un déplacement pour un match de Youth League.

« J’étais dans la même agence que Dani Alves à l’époque. C’était celle de son ex-femme. J’y suis depuis mes 14 ans. En Youth League, on a les mêmes groupes que l’équipe première. Les déplacements se font en même temps. On jouait à l’extérieur, je ne sais plus où, et on avait voyagé dans le même avion que les pros. Au retour, il y avait les pros en première classe, nous les U19 on étaient au milieu et au fond de l’avion, il y avait la presse.

Quand je rentre dans l’avion, les pros sont déjà présents en première classe. On passe donc devant eux, et notamment devant Dani Alves, qui m’interpelle, me demande comment s’est passé mon match et me dit de venir s’assoir avec lui plus tard pendant le vol. Pendant le vol, un intendant vient me voir et me dit que Dani (Alves) veut me parler, et c’est comme ça que j’ai discuté avec lui pendant le repas, avec Neymar qui était présent à côté »

Manque d’accompagnement, promesses non tenues et chantage : la dure réalité d’une carrière de footballeur

Alors qu’il réalise une saison pleine au sein des catégories jeunes du FC Barcelone, Théo Chendri apprends qu’il ne sera pas prolongé par le club seulement un mois avant l’échéance de son contrat. Une décision prise par Pep Segura, directeur du centre de formation du FC Barcelone à l’époque. La raison ? Une volonté de changement de profil de joueur au sein de la Masia.

« A partir du moment où ils m’ont informé qu’ils ne me prolongeraient pas, un mois avant la fin de mon contrat, j’apprends d’où ça vient. J’ai su que c’était Pep Segura qui avait décidé de miser sur un autre profil de joueur, alors que je sortais d’une excellente saison. J’avais notamment été le premier joueur de ma catégorie à débuter avec le Barcelone B en Segunda Division. Tous ceux qui renouvellent font dix centimètres de plus que moi et dix kilos de plus que moi. Ça fait partie des facteurs du foot. Parfois, les facteurs changent et tu dépends beaucoup des personnes qui sont au-dessus de toi. »

A tout juste 19 ans, celui qui n’a jusqu’ici connu que la stabilité et les infrastructures ultramodernes de la Masia doit trouver un nouveau point de chute. Une période particulièrement compliquée pour lui, qui n’a pu compter sur l’aide du FC Barcelone dans l’accompagnement post-formation, étape si importante dans la carrière d’un joueur. Un retour en France se profile alors du côté de Nantes. Un nouveau départ plein d’espoir, à l’heure ou ses coéquipiers en sélection commencent à toucher aux groupes pros.

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« Barcelone ne m’a jamais aidé à trouver un autre club. Je pars donc à Nantes car c’est le seul club en France qui m’offre un contrat professionnel, d’une durée de 3 ans. En étant international français, tous les joueurs qui étaient en sélection avec moi commençaient à toucher les groupes professionnels. Certains étaient même déjà titulaires, comme Ousmane Dembélé, même si lui, c’est un cas à part. Je me suis dit pourquoi pas retourner dans mon pays, où je suis international, et essayer moi aussi d’avoir ma chance en professionnel. »

S’il est convenu à son arrivée avec les Kita et René Girard, alors entraîneur du club, qu’il débuterait en CFA (désormais appelé National 2) avant d’être promu dans le groupe professionnel, ces promesses ne seront jamais tenues. Théo enchaîne les rencontres avec la réserve, où il est même capitaine à plusieurs reprises, mais les opportunités en pro ne viennent jamais et l’aventure nantaise tourne court.  

« J’ai dû faire seulement 3 ou 4 entraînements avec les pros avec Nantes. Et encore, c’était pour boucher les trous. Je m’entrainais en latéral droit etc. Je n’aie jamais eu la moindre opportunité de m’exprimer avec les professionnels. Ma première saison s’est mal passée. Mon entraîneur à l’époque ne m’a pas fait jouer, l’équipe a été reléguée en National 3. Un nouvel entraîneur arrive, je joue tous les matchs, ça se passe très bien, on est champion et je suis même plusieurs fois capitaine. Malgré ça, chaque lundi c’était un autre joueur qui montait s’entraîner avec les professionnels, malgré mes performances et le fait que j’avais un contrat professionnel. Mais bon, ça fait partie de la carrière. »

Théo décide alors de résilier son contrat avec Nantes quelques mois avant l’échéance de son contrat. Durant la trêve hivernale, le milieu de 21 ans reçoit une offre du BK Fremad Amager, club de deuxième division danoise. Passé par la Masia et Nantes, le saut en deuxième division danoise est immense. L’ancien international français chez les jeunes nous raconte qu’il ne souhaitait même pas considérer l’offre dans un premier temps.

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« A la trêve hivernale, un club de 2e division danoise vient m’observer durant plusieurs matchs de l’équipe réserve. Ils s’intéressent vraiment à moi. Ils me font une offre, mais au début je ne voulais pas vraiment en entendre parler. Mes agents m’ont convaincu, en me disant que je serais dans une équipe première, dans un pays formateur et que ça pourrait être une bonne opportunité. Je décide d’accepter. »

Les débuts au Danemark se passent très bien, Théo Chendri est titulaire et le club finit malheureusement à un point des playoffs pour monter en première division. La saison 2019-2020 débute, et laisse place quelques mois plus tard au COVID, signifiant l’arrêt des championnats. Un nouveau coup d’arrêt dans la carrière du milieu français, pour qui l’aventure scandinave va prendre un tout autre virage.

« Quand le COVID arrive, c’est à ce moment-là que j’ai eu pas mal de soucis avec le club. Je n’étais pas payé, et en hiver ils m’ont demandé de trouver un nouveau club. Ils m’ont dit que je ne rejouerais plus avec le club, que je ne serais pas payé. Il y avait beaucoup de chantage. Quand les championnats ont repris, je n’aie presque plus rejoué. C’était assez compliqué de retrouver un autre club à l’époque, mais je trouve un accord avec eux pour résilier mon contrat. On est alors en septembre 2020. J’essaie de trouver une opportunité en Segunda B (D3 Espagnole), mais après le COVID beaucoup de clubs étaient touchés financièrement. Ils essayaient davantage de réduire leur effectif plutôt que de s’engraisser, donc les opportunités étaient rares. Je reste une bonne période sans club, jusqu’en janvier 2021. »

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Le chômage dans une carrière de footballeur est une épreuve à surmonter. Qui plus est dans le contexte de la pandémie mondiale de COVID, lors de laquelle les clubs ne souhaitaient pas prendre de risques financiers. Formé à la Masia, passé par Nantes et les catégories jeunes de l’Equipe de France, Théo Chendri n’aurait jamais imaginé vivre cela durant sa carrière. D’ailleurs, il déplore le manque d’éducation vis-à-vis de la réalité de la carrière d’un footballeur au sein des centres de formation.

« La carrière du footballeur d’un niveau un peu plus en dessous que les stars mondiales est faite de hauts et de bas. Je pense que ce que je regrette dans les centres de formation, c’est qu’on n’inculque pas assez ce qu’est le vrai football. Moi je vis du football, mais je n’ai pas un salaire qui fait que demain, si j’arrête le foot, ma vie est résolue. Quand tu es en centre de formation, tu ne sais pas que ça va se passer comme ça. Surtout quand tu es au FC Barcelone, international français et que tout se passe bien à ce moment-là. Les contrats, les sponsors, les journalistes qui t’appellent etc… Tu te sens comme une star et jamais tu te dis que tu pourrais finir dans une situation comme celle que j’ai traversé. Je pense que beaucoup de jeunes ne sont pas prêt à ça. »

Dans la deuxième partie de notre entretien avec Théo Chendri, découvrez comment le milieu français a su redonner un élan à sa carrière en faisant son retour dans son pays formateur, l’Espagne. Une aventure qui lui réservera une nouvelle des hauts et des bas.


grgoiredevaux

Jeune étudiant en journalisme expatrié au Real Madrid ne jurant que par Arsenal et son jeune prince norvégien

3 commentaires

ben · 08/01/2023 à 11:08

très bonne première partie, c’est vrai que les enfants et aussi les parents ont souvent des “projets mbappe” pour leurs gamins et ne se rendent pas compte de la réalité des sélections dans le foot

Gérone, antre d’un trouble-fête : coulisses d'une réussite extraordinaire - Fausse Touche · 03/02/2024 à 17:45

[…] À LIRE – Théo Chendri, découverte du football espagnol dans les divisions inférieures […]

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